TORRALBA Francesc, La façana de la Glòria de la Sagrada Família. Fonts espirituals i teològiques de l’escatologia d’Antoni Gaudí, Studia Gaudiniana 7, Ateneu Universitari Sant Pacià, Barcelona 2022, pp. 874.

Nous avons entre les mains un livre assez volumineux sur une réalité qui, du moins pour l’instant, n’existe pas encore : la façade de la Gloire de la basilique de la Sagrada Família à Barcelone. Les deux autres façades sont déjà achevées : celle de la Nativité, la seule que le génial Gaudí ait vu achevée, et celle de la Passion. Seule la façade principale, celle de la Gloire, est encore « manquante ». Cette façade n’est encore qu’un projet. La thèse de Torralba (la quatrième thèse de doctorat de cet auteur) vise à approfondir son iconographie future. Il décrit les éléments symboliques qui la composeront et explore les sources spirituelles et théologiques de la pensée eschatologique de Gaudí afin de comprendre sa représentation de l’au-delà : le ciel, le purgatoire et l’enfer. Pour ce faire, Torralba part de sources historiques, en essayant d’expliquer le sens de chacune des parties et des futurs groupes sculptés. Il veut donner aux artistes, qui seront chargés de réaliser ces sculptures, des clés pour représenter dans la pierre les domaines de l’eschatologie de Gaudí.

Francesc Torralba i Roselló (1967- ) est un professeur d’université, philosophe et théologien catalan. Auteur d’une thèse sur Sören Kierkegaard (1813-1855) et d’une autre sur la pensée anthropologique de Hans Urs von Balthasar (1905-1988). Plusieurs fois récompensé. Directeur et président de plusieurs chaires. En 2011, le pape Benoît XVI (1927-2022) l’a nommé consultant auprès du Conseil pontifical pour la culture du Saint-Siège. Auteur d’une longue liste de livres sur des thèmes anthropologiques et spirituels. Enfin, il est père de famille.

Si nous osons présenter cette dernière œuvre, c’est parce qu’Antonio Gaudí était un grand admirateur et un dévot de Saint Antoine Marie Claret. Il disait que si des statues devaient être placées sur la future façade de la Passion, la première serait celle du « vénérable » père Claret. Et c’est ce qui a été fait. C’est pourquoi Torralba consacrera quelques pages de son livre (pp. 782-789) à l’influence de Claret sur l’eschatologie de la façade de Gaudí. Nous y reviendrons plus loin.

Le volume, qui, comme nous l’avons dit, est basé sur la quatrième ( !) thèse de doctorat de Torralba, s’ouvre sur une présentation synthétique mais intense et clairvoyante d’Armand Puig i Tàrrech, recteur de l’Ateneu Universitari Sant Pacià de Barcelone et directeur de la thèse. Elle commence par une comparaison entre deux génies : Ramon Llull (1232-1316), philosophe et théologien médiéval, poète et réformateur de l’Église de son temps, et Antonio Gaudí i Cornet (1856-1926), maître architecte, poète de la pierre, surnommé « l’architecte de Dieu », attentif au symbolisme biblico-théologique et liturgique du christianisme et fervent catholique. Avec sa basilique, Gaudí déclarait dès 1910 à Paris qu’il entendait « perfectionner le gothique », ce qui était très différent de « répéter le gothique », ce que faisait alors l’architecture dite néo-gothique (pp. 5-8).

De son côté, Torralba, dans le prologue (pp. 9-12), avoue avoir été fasciné par les œuvres de Gaudí. Cela a conduit le cardinal-archevêque de Barcelone de l’époque à l’appeler, en 2017, à faire partie de la commission théologique qui devait analyser l’iconographie de la façade de la Gloria, étant donné qu’il voulait représenter l’au-delà : le ciel, le purgatoire et l’enfer.

L’étude est divisée en cinq parties et conclusions : 1) l’univers de Gaudí (pp. 12-76) ; 2) la façade de la Gloire (pp. 77-475) ; 3) la principale source d’inspiration de la façade (pp. 476-522) ; 4) les sources spirituelles et théologiques de l’eschatologie de Gaudí (pp. 523-826) ; 5) les directives pour la création artistique (pp. 827-837) ; 6) les conclusions (pp. 839-845). Le volume se termine par une bibliographie détaillée (pp. 847-861).

Dans la première partie, au-delà des clichés connus, l’auteur explore Gaudí en tant qu’artiste génial, mystique contemplatif, architecte théologien, citoyen actif et chrétien engagé ; une véritable  » bombe spirituelle « , comme l’appelait le génie surréaliste Salvador Dalí (1904-1989) (p. 29). La deuxième partie, de loin la plus longue, propose une présentation exhaustive de la façade de la Gloria, en partant des sources historiques, en essayant d’expliquer la signification de chacune des parties et des groupes sculpturaux, l’interprétation des symboles et leurs diverses significations. Pour citer un exemple : la porte principale, œuvre de José María Subirachs (1927-2014) avec l’aide de Bruno Gallard, a été installée en 2008 et inaugurée par Benoît XVI en 2010. Il s’agit de deux grands panneaux de bronze, avec le texte intégral du Notre Père écrit en relief en catalan et en quarante-neuf autres langues. Quarante-neuf parce que c’est le résultat de 7 x 7, et que le chiffre 7 évoque la perfection dans la Bible, c’est-à-dire la perfection au carré, la somme de la perfection.  Dans la troisième partie du livre, nous voyons comment, selon l’hypothèse de Torralba, le catéchisme de l’évêque Josep Domènech Costa i Borràs (1805-1865), que Gaudí a appris dans son enfance, a été la principale source de référence.

Dans la quatrième partie, concernant les sources qui ont inspiré l’eschatologie de Gaudí, l’auteur distingue les contemporains de Gaudí (entre autres, Saint Josep Manyanet, 1833-1901, Dom Guéranger, 1805-1875, Josep Torres i Bages, 1846-1916, Jacint Verdaguer, 1845-1902…) des sources classiques (Ramon Llull, 1232-1316, Thomas de Kempis, 1380-1471, Saint Jean de la Croix, 1542-1591, Sainte Thérèse de Jésus, 1515-1582…) et de l’eschatologie. ) et des sources classiques (Ramon Llull, 1232-1316, Thomas de Kempis, 1380-1471, Saint Jean de la Croix, 1542-1591, Sainte Thérèse de Jésus, 1515-1582, Jaume Balmes, 1810-1848, et Saint Antoni Maria Claret, 1807-1870) ; il consacre même quelques pages à la discussion de l’eschatologie de Gaudí à la lumière du Concile Vatican II (p. 789-826). 789-826). Dans la cinquième partie, beaucoup plus courte, il énonce quelques lignes directrices pour la création artistique : comment représenter l’enfer, le purgatoire et le paradis. Enfin, Torralba présente de manière très synthétique les contributions de son volume. Il conclut en remerciant M. Esteve Camps, président-délégué, et le Dr Jordi Faulí, architecte en chef des travaux, pour les images qu’il a pu reproduire dans cette étude.

L’espace consacré à Claret est très bref : à peine huit pages. Lorsque Claret mourut, Gaudí avait déjà dix-huit ans, et il dut donc inévitablement entendre parler de lui et vivre de son influence. Torralba affirme que l’histoire de l’évangélisation de l’Église en Catalogne ne peut être comprise sans la contribution de Claret. Une contribution dans une situation très complexe et difficile. Claret a opté pour une ouverture à la prédication, une stratégie de communication, une proximité et une volonté de travailler en réseau. Avec d’autres (Balmes, Coll, Vedruna…), au lieu de se contenter de déplorer la situation et de regretter le passé, il a accepté le changement d’époque en s’ouvrant à de nouvelles formes de prédication et en consolidant la foi des gens. Dans ses livres, ses brochures et sa prédication, Claret se concentre sur l’essentiel, sur la catéchèse, non seulement pour les enfants, mais aussi pour les adultes. Pratique, il a lui-même composé pas moins de quatre catéchismes au cours de sa vie. En ce qui concerne les novatiens, Claret était animé par la compassion et le désir de rendre ses frères heureux. Le désir clarétain d’éviter la damnation éternelle et d’être heureux avec Dieu le Père aux cieux doit apparaître dans la pierre de cette façade.

Ce volume ou thèse de doctorat représente une immense richesse de connaissances de la part de son auteur. C’est une excellente présentation de ce que sera la façade de la Gloire de la Sagrada Família, pour qui veut vraiment entrer dans ce monde profond de spiritualité dans la pierre, qui honore Gaudí et enrichit tous ceux qui peuvent déjà la sentir et qui pourront ensuite la contempler une fois qu’elle sera inaugurée. Il suffit de dire que la Sagrada Família est déjà l’un des deux monuments les plus visités en Espagne chaque année par des millions de touristes, et qu’elle n’est même pas encore terminée !

J. Rovira, cmf.